Avoir eu l'idée ou plutôt l'instinct de poser sur la terre souplement modelée des formes aussi antinomiques et incongrues que des petits carrés net et précis industriellement fabriqués et rendus plus précis encore par la mécanique des vis entêtantes qui les fixent. Laquer d'encre noire ses bronzes plutôt que de les patiner.

Telles sont deux transgressions, des inventions inouïes qui confèrent aux oeuvres de Nicolas Kennett tant d'originalité, d'étrangeté et de sombre et inquiétante beauté.

Elles peuvent de prime abord, déranger, gêner, car on ne sait trop comment les interpréter ni ce qu'on doit y voir.
Certes des animaux, pour ce qui est de cette exposition. Mais jusqu'à quel point reconnaissables ?

il est entraîné parfois à produire à partir d'eux, dont il connaît pourtant si bien toutes les configurations, des formes innomables, des masses indistinctes.

Mais c'est toujours de l'animal. Et c'est toujours avec de la terre obscure et primaire - ou primordiale - qu'il les fait.

Il est venu un moment où, ces masses sombres, rendues plus nocturnes encore par l'encre qui les recouvre, il a ressenti le besoin de les éclairer, de les sublimer, par l'or des vis, par les éclats de couleur dont il les constelle et qui, symboliquement, emportent les animaux qu'elles figurent pour un grand voyage dans l'espace et le temps, dans une nuit étoilée.

Le besoin aussi de les réanimer, de les revivifier.

Dans l'animal, il voit souvent la souffrance, étant particulièrement enclin à le représenter comme un être blessé, cabossé, accidenté, parfois même mort.

Alors il le soigne par l'acupuncture bien particulière de ses aiguilles vissées ou il pare sa dépouille dans un geste primitif d'ornementation qui n'est pas sans rappeler telle effigie aztèque couverte d'une mosaïque de lapis-lazuli.

Réduites et couvertes entièrement, obsessionnellement, de petits pavés de couleurs fixés par un nombre incroyable de vis, ses sculptures se présentent alors comme les bijoux les plus précieux et les plus excentriques, les plus sauvages et les plus raffinés.

Certaines de ses pièces deviennent véritablement extraordinaires par leur folie technique à la Bernard Palissy qu'on imagine avoir eu, pour un résultat bien sûr tout différent, le même désir d'atteindre à l'exploit, à la merveille, au grand oeuvre pour lequel il ne peut y avoir aucune économie d'effort, aucune économie de temps d'exéccution dans une concentration extrême et dans un risque considérable.

La grande force de Nicolas Kennett et sa grande ambition artistique c'est de nous mettre dans la situation de renoncer à toute recherche de référence, en tout cas dans notre artistique proche, pour faire simplement face à l'incomparable existence de son oeuvre.